Il est important que les forces de l’ordre puissent disposer d’une procédure détaillée leur permettant d’intervenir à la vue d’un enfant exploité ou se trouvant dans un endroit où il ne devrait pas être.
Depuis le soulèvement populaire de 2011, il y a de cela une dizaine d’années, la Tunisie n’a cessé de s’embourber dans des crises politiques, économiques et sociales. C’est certainement ce dernier aspect de la crise qui inquiète le plus. Si les choses deviennent de plus en plus difficiles pour les classes moyennes, que dire alors des plus démunis, de ceux qui, à l’ère prérévolutionnaire, souffraient déjà ? Dans cette catégorie oubliée par les pouvoirs publics, occupés par la maîtrise des chiffres au détriment de l’individu, les enfants sont les plus à plaindre. Laissés pour compte, les « enfants de la rue » pullulent, alors que le seul endroit où ils ne devraient pas être, c’est justement la rue. A 6, 7 ou même 15 ans, c’est sur les bancs de l’école que nous devrions les trouver.
Pourtant, plusieurs d’entre eux échappent à tout contrôle et échappent aux radars de l’Etat. Nous les retrouvons dans les réseaux de la mendicité ou dans un sombre atelier de mécanique où ils sont affectés à des travaux incompatibles avec leurs morphologies et qui ralentissent leur croissance.
Il y a quelques jours, j’ai pu croiser un groupe d’enfants âgés entre 14 et 16 ans, et avec eux, un jeune enfant de moins de dix. Ses jambes étaient comme déformées et il marchait difficilement, mais tenait une cigarette et fumait comme un pro. En m’approchant du plus âgé pour lui demander de ne pas le laisser fumer ainsi, croyant naïvement qu’il venait tout juste d’apprendre cette mauvaise habitude, il m’interrompt avec un sourire en coin. « Tu vois l’état de ses jambes ? », « Eh bien c’est à cause de la colle qu’il sniffe, alors ne me parle pas de cigarette ! ». Sa réponse était suffisante pour me dissuader d’aller plus loin dans la discussion.
Seconde rencontre, celle avec un enfant de 8 ans traînant aux alentours de la gare ferroviaire de Tunis, vendant des chewing-gums et portant un cartable plus grand que lui, dans lequel il mettait sa marchandise. Il était là, probablement en pause, regardant dans le vide, les yeux rêveurs.
Lorsque je me suis approché de lui, à cinquante centimètres pour en acheter un paquet, il s’est tourné vers moi et d’un geste mécanique, il a mis ses mains devant son visage pour se protéger, en fermant les yeux. Cet épisode m’a énormément frappé, car il traduit cette peur permanente dans laquelle vivent ces enfants, contraints, malgré eux, à faire face à une société qui finalement ne les voit plus, ou en tout cas, ne voit plus en eux des enfants.
Je crois qu’il est aujourd’hui temps de remettre nos enfants au cœur des politiques publiques. Assez de sacrifier des générations à l’autel d’une démocratie balbutiante. Il est grand temps de lancer une campagne nationale, en coordination entre le ministère de la Femme, de la Famille, et des Seniors, et le ministère de l’Intérieur. La vue d’un enfant dans la rue pendant les heures de cours ou travaillant dans un atelier ne doit plus être une scène anodine. Il est important que les forces de l’ordre puissent disposer d’une procédure détaillée leur permettant d’intervenir à la vue d’un enfant exploité ou se trouvant dans un endroit où il ne devrait pas être.
Albert Camus écrivait un jour que : «Ce n’est pas la souffrance de l’enfant qui est révoltante en elle-même, mais le fait que cette souffrance ne soit pas justifiée. La souffrance use l’espoir et la foi ».